reconstitution des mouvements des populations humaines depuis la préhistoire en Europe occidentale
La fin du Pléistocène est une période d'environ 100 000 ans à compter de l'interglaciaire MIS 5 (-126 000 ans).
C'est à peu près à cette période que les plus anciennes formes considérées comme proches de «l'homme anatomiquement moderne» sont connues en Afrique de l’Est, en Afrique du Sud et au Moyen-Orient après 160 000 ans avant le présent, avec des faces modernes mais des crânes encore quelque peu archaïques.
La distinction entre les sapiens, hommes "anatomiquement modernes" et les hommes dits "archaïques" est en fait assez floue puisqu'il n'y a pas de prototype clair d'Homo sapiens.
La définition du morphotype de l’espèce a donné lieu à de nombreuses discussions, notamment en raison de la grande variabilité des populations actuelles.
Les caractères anatomiques proposés par C. Stringer et al en 1984 (1) étaient les suivants :
- une rétraction de la face, plate et courte, sous une cavité encéphalique plus globulaire .
- un occipital arrondi et une concavité infra-orbitaire.
- un relief sus-orbitaire discontinu et peu proéminent.
- une réduction de la denture et une microstructure de l'émail dentaire particulière (2)
- une mandibule réduite avec un menton marqué.
- un squelette post-crânial gracile (thorax et bassin étroits)
Les Homo sapiens de la fin du Pléistocène d'Afrique
1) la calotte crânienne de Singa au Soudan. découverte en 1924 au sud de Khartoum (5)
Le crâne globuleux est daté de 135.000 ans (6) mais présente des anomalies/malformations anatomiques qui perturbent son interprétation.
2) le crâne de Ngaloba en Tanzanie (LH18). découvert en 1976 à Laetoli.
Daté en 1980 de 120.000 ans +/- 30 ka (7)
La face est courte plate et moderne, mais le crâne est allongé et le front fuyant. Volume 1200 cm3
3) les mandibules de Klasies River Mouth en Afrique du Sud.
découvertes en 1967/68 associées à de l'outillage MSA.
Différents ossements, dont une mandibule (KRM 41815) présentant un menton bien marqué, datés de 80-120.000 ans.(8)
4) le crâne de Border Cave en Afrique du Sud.
Des restes humains anatomiquement modernes y ont été découverts en 1940-42 (9) accompagné d'un outillage "Middle Stone Age". En particulier une mandibule (BC5) qui présente un menton bien marqué.
La datation de 80.000 ans du crâne reconstitué (BC1) est assez incertaine.(10) La mandibule est datée de 50 à 65.000 ans.
assemblage BC1 et BC5
Premiers Sapiens au Proche-Orient:
Malgré la présence précoce de sapiens confirmée en Afrique bien avant 100.000 ans, il n'y avait pas de preuve jusqu'à récemment de mouvement de dispersion hors d'Afrique des Sapiens avant 60.000 ans (MIS 4/3). Ceci était confirmé par l'étude des ADN mitochondriaux qui indique la divergence et l'effet d'entonnoir subit par les lignées non africaines vers 85-65.000 ans (Oppenheimer 2012, Henn 2012).
En fait il y a une très large fenêtre temporelle pendant laquelle les sapiens ont pu quitter l'Afrique à l'occasion de conditions climatiques et géographiques favorables (déserts verts pendant MIS 7 et MIS 5 Boivin 2013).
Des Homo sapiens archaïques vivaient déjà au Levant il y a 200.000 ans (demi maxillaire de Misliya), voire bien plus tôt, peut être dès 300.000 ans, comme le suggèrent d'autres restes mis au jour récemment en Israël:
La demie mâchoire de Misliya en Israël.
La plus ancienne présence connue d'un Sapiens hors d'Afrique consiste actuellement en la demie mandibule de MISLIYA Cave, découverte en 2002 sur le Mont Carmel en Israël et publiée en 2018(14):
L'anatomie est moderne et datée de 177.000 ans (MIS6) (Bae 2017a
Les fossiles des grottes de Qesem et de Zuttiyeh en Israël:
Grotte de Qesem : Huit dents humaines isolées y ont été découvertes en 2000 dans différentes couches datées de 380.000 à 200.000 ans et associées à des bifaces acheuléens. L'attribution de ces dents à des Néandertaliens ou des Sapiens archaïques n'est pas tranchée.
Grotte de Zuttiyeh en Galilée: Un crâne partiel y a été découvert en 1925, dont la datation est incertaine, attribué à une couche de l'acheuléen-yabroudien située entre 350 et 200.000 ans avant le présent.
Ce crâne de "l'homme de Galilée" a d'abord été identifié comme un Homo Heidelbergensis par certains, mais possiblement comme un Sapiens archaïques pour d'autres.
Il semble que des incursions au sud de l'Europe auraient pu se produire à l'occasion d'épisodes d’extension transitoires du climat chaud: ainsi l'un des crânes retrouvés en Grèce pourrait être celui d'un Sapiens archaïque:
le fragment de crâne d'Apidima en Grèce.
Un des deux crânes découverts dans une grotte du Péloponnèse en 1978 a été récemment réexaminé: bien que partiel, la forme arrondie de l'arrière de la calotte crânienne le placerait comme un des premiers sapiens en Europe, daté de 210.000 ans (15) .
Le second crâne plus complet est attribué à un Néandertalien de 170.000 ans.
Il y a environ 100.000 ans, des groupes de Sapiens archaïques ont laissé des sites et des fossiles bien conservés au Levant, et ne s'y sont cantonnés alors qu'à cause du climat chaud.
Les hommes de Qafzeh en Israël.
Les fouilles de la grotte en 1934 et 1965/79 ont livré les restes de 27 individus dont 8 squelettes reconnus comme des humains anatomiquement modernes(11), datés de 115.000 à 92.000 ans selon les techniques (12), tous déposés dans des tombes. L'outillage qui les accompagne est de type moustérien.
Qafzeh 11 et Qafzeh 9
Pour la première fois à cette époque, il a été trouvé une sépulture double d'une femme et d'un enfant, atteint d'une malformation des os du crâne.
Les hommes de Skhul en Israël.
En 1928, les fouilles de la grotte d'Es Skhul sur le Mont Carmel mettent au jour les restes de 7 adultes et 3 enfants dans les plus anciennes sépultures connues.
Il s'agit d'hommes anatomiquement modernes (bien que les arcades sourcilières soient un peu fortes) dont l'âge serait de 80 à 115.000 ans (13)
Skhul V
Les différents fossiles d'Homo sapiens anciens ne montrent pas une progression linéaire, mais plutôt une forte diversité morphologique et une diffusion géographique importante.
Les crânes des sapiens sont de plus en plus sphériques, le front est haut, la face plane, l'arrière du crâne est arrondi, les maxillaires réduits et il apparait un menton, le bourrelet supra-orbitaire est très atténué.
crânes Irhoud-1 (-300 ka /Maroc) vs Qfazeh-9 (-95 ka/Israël)
Associées aux récentes preuves archéologiques et génétiques, ces données suggèrent une origine de notre espèce dans plusieurs populations Africaines séparées géographiquement, mais échangeant occasionnellement des flux de gènes.(16)
Ce concept de multi-régionalisme inclut probablement également une hybridation avec des populations humaines archaïques contemporaines (naledi?)(17). Différentes études génétiques sur les populations africaines actuelles ont détecté les traces d'une introgression archaïque estimée à 2 à 8% avec un homo archaïque indéterminé, à l'image de ce qui s'est passé en Eurasie avec Néandertal. (18)
Ces différentes populations ont pu se différencier à cause de frontières écologiques et les flux de gènes se produire lors des changements climatiques. Ce point de vue remet en cause une origine d'Homo sapiens dans une région unique et bien localisée en Afrique, et implique une forte complexité des processus mis en œuvre pour l'émergence de notre espèce.
Le "Middle Stone Age"
L’apparition de notre espèce semble être le produit d’une évolution à une échelle panafricaine et, sur le plan comportemental, elle est associée à la transition des industries lithiques du Early Stone Age vers celles du Middle Stone Age.
En Afrique, il s'agit d'une reconfiguration technologique qui consiste en l'abandon des grands outils et l'amélioration des techniques sur le noyau lithique et sur l'emmanchement.
Ces changements conduisent à l'apparition du « Middle Stone Age » qui semble apparaître à travers toute l'Afrique à peu près à la même période: il y a 300.000 ans à jebel Irhoud au Maroc et à Olorgesailie en Afrique de l'Est, et il y a 280.000 ans à Florisbad en Afrique du Sud. Les dates sont plus récentes en Afrique de l'Ouest (180.000 ans), mais la région reste peu fouillée.
Clairement des distinctions géographiques apparaissent dans la culture du « Middle Stone Age ». Une telle régionalisation est typiquement reliée à l'émergence de la cognition moderne. Elle est cependant liée également à des variables démographiques, et à une adaptation aux conditions environnementales. Les similarités dans ces cultures régionales ont pu être produites par des contacts occasionnels entre les populations, ou par convergence de l'adaptation aux conditions écologiques.
Outillage et perles du Midle Stone Age source: Scerri E. (16)
Sources & bibliographie:
(1) Stringer, C.B., Hublin, J.-J. and B. Vandermeersch (1984) "The origin of anatomically modern humans in Western Europe". In: F. Smith and F. Spencer (eds.), The Origin of Modern Humans. Alan R. Liss: New York, 51-13.
(2) Smith TM & al (21012) "Variation in enamel thickness within the genus Homo" J.Hum.Evol. 62,395-411.
(5) Grabham, G. W. (1938). "Note on the geology of the Singa district of the Blue Nile". Antiquity. A Quarterly Review of Archaeology, 12, 193– 195
(6) McDermott F. et al., (1996) "New Late-Pleistocene uranium–thorium and ESR dates for the Singa hominid (Sudan)" Journal of Human Evolution ,Volume 31, Issue 6, December 1996, Pages 507-516
(7) Day,M.H., (1980) "A new hominid fossil skull (L.H. 18) from the Ngaloba Beds, Laetoli, northern Tanzania" Nature . 1980 Mar 6;284(5751):55-6.
(8) Rightmire G.P. ,Deacon H.J., (1991) "Comparative studies of Late Pleistocene human remains from Klasies River Mouth, South Africa" Journal of Human Evolution Volume 20, Issue 2, February 1991, Pages 131-156
(9) Cooke, H.B.S. et al. (1945). "Fossil Man in the Lebombo Mountains, South Africa: The 'Border Cave,' Ingwavuma District, Zululand". Man. 45: 6–13.
(10) Grün R., et al., (1990) « ESR dating evidence for early modern humans at Border Cave in South Africa», Nature, vol. 344, no 6266, 1er avril 1990, p. 537–539
(11) Vandermeersch, B. (1966) "Nouvelles découvertes de restes humains dans les couches Levalloiso-moustériennes du gisement de Qafzeh (Israël)". C. R. Acad. Sc. Paris. 262, D : 1434-1436.
(12) Schwarcz H., Grün R., Vandermeersch B., Bar Yosef O., Valladas H., Tchernov E. (1988). « ESR dates for the hominid burial site of Qafzeh in Israel. », Journal of Human Evolution, 17, 8, 733-738.
(13) B. Arensburg et Anne-Marie Tillier,(1989) « Une nouvelle confirmation de l'ancienneté de l'homme moderne au Proche-Orient : la datation de Skhul », Bulletins et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, Nouvelle Série, t. 1, no fascicule 1-2, 1989, p. 141-143
(14) Israel Hershkovitz et al., (2018) « The earliest modern humans outside Africa », Science, vol. 359, no 6374, 2018, p. 456-459
(15) Katerina Harvati, & al, (2019) « Apidima Cave fossils provide earliest evidence of Homo sapiens in Eurasia », Nature, vol. 571, 2019, p. 500-504
(16) Scerri Eleanor & al (2018) "Did our species evolve in subdivided populations across Africa, and why dies it matter?" Ecology & Evolution, aug 2018, vol 33 N°8
(17) Lluis Quintana-Murci (2021) "Le peuple des humains. sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations" Odile Jacob oct.2021 - p85
(18) Hsieh, P., et al. (2016) "Model-based analyses of whole-genome data reveal a complex evolutionary history involving archaic introgression in central african Pygmies" Genome Res., 26,3 (2016) 291-300