reconstitution des mouvements des populations humaines depuis la préhistoire en Europe occidentale
Depuis maintenant 40.000 ans, notre planète n'est plus parcourue que par une seule espèce humaine, Homo sapiens, qui apparait génétiquement et anatomiquement très homogène.
Les humains actuels (on parle d'Hommes Anatomiquement Modernes) ont une boite crânienne de forme arrondie, de profil globulaire, sous laquelle la face se situe en retrait.
Cette face raccourcie est placée sous un front arrondi et vertical généralement sans reliefs marqués. Les parois latérales du crâne sont aplaties et redressées et sa partie postérieure est arrondie sans projection vers l'arrière.
La mandibule a une forme unique avec un menton osseux variablement projeté vers l'avant.
En remontant dans le temps, les fossiles retrouvés correspondent à des populations de sapiens apparentées aux populations actuelles, avec sans doute la même variabilité de caractères, mais qui présentent aussi avec elles des différences anatomiques notables.
Ainsi le terme "d'hommes anatomiquement modernes" n'est pas superposable à celui de sapiens, mais ne représente que les formes terminales et mal délimitées des sapiens.(1)
L'émergence et la dispersion des Homo sapiens est un sujet d'étude en évolution constante. Une des difficultés rencontrées provient du très faible nombre de spécimens exploitables et correctement datés pour cette période.
Zoom sur les différentes théories des origines
La thèse de la sortie d'Afrique des Homo erectus est acceptée et confirmée depuis longtemps.
Par contre celle des origines des sapiens et de son expansion à partir d'Afrique a été largement débattue jusqu'à récemment:
Les paléoanthropologues du siècle dernier ont présentés différents modèles (2):
Cependant, depuis les années 90, le consensus sur l'évolution humaine a basculé d'une origine et évolution multirégionale(7) à une origine unique africaine des hommes modernes et au remplacement de toutes les populations archaïques préexistantes, avec une expansion vers L'Asie et l'Europe depuis le nord-est de l'Afrique vers -60.000 ans (Out of Africa).
Actuellement, cette dernière théorie se trouve quelque peu modifiée par les résultats des études génétiques et des dernières découvertes archéologiques qui semblent donner du crédit au modèle d'assimilation.(8)
Les origines africaines de sapiens
Les fondements de l'origine africaine des sapiens reposent d'abord sur le fait que les plus anciennes formes proches des sapiens ont été découvertes dès les années 70 en Afrique de l'Est (-200.000 ans), puis plus récemment en Afrique du Sud et au Maroc (-300.000 ans).(9)
Ceci a été ensuite confirmé par la génétique:
Diversité génétique et distances de l'Afrique ( d'après Prugnolle 2005)
Arbre simplifié des principaux haplotypes mitochondriaux des populations actuelles. Les lignées initiales, les plus anciennes, sont africaines (fond orange), toutes les autres dérivent de l'haplotype L3. (d'après Hublin 2020)(1)
De plus, malgré une grande diversité d'un continent à l'autre en relation avec différents climats et environnements, les H.sapiens actuels sont remarquablement homogène d'un point de vue génétique et anatomique. Cela résulte de l'origine commune de tous les hommes actuels.
Le problème de l'ancêtre commun
La grande diversification des formes récentes d'hominines au Pléistocène moyen (voir précédemment) contraste avec le fait qu'il n'en reste plus qu'une seule actuellement, la nôtre, Homo sapiens.
Selon la théorie classique actuelle, parmi celles-ci, il y aurait un ancêtre commun africain à grand cerveau, mais qui conservait des caractéristiques primitives, en Afrique et en Eurasie, (H Heidelbergensis / rhodesiensis),
à l'origine de 2 branches, l'une africaine (H. sapiens), l'autre eurasiatique (H. Neandertal à l'ouest, Dénisova à l'est)
et à coté des formes à plus petit cerveau (H. erectus et florensensis) persistantes en Asie et les îles.
Cependant avec la découverte et la datation récente à 300.000 ans des fossiles de Jebel Irhoud reconnus comme des formes anciennes de sapiens, il apparait que ceux-ci se rapprochent peu des heidelbergensis/rhodesiensis qui seraient plutôt les ancêtres des seuls Néandertaliens et Dénisoviens.
L'émergence des Homo sapiens à la fin du Pléistocène moyen (MIS8 MIS7 - 350/-171 ka)
L’inventaire des fossiles humains africains de cette période se révèle bien plus réduit que celui de l’Europe seule. À cela s’ajoute le fait que plusieurs découvertes majeures y ont été faites en dehors de tout contexte stratigraphique et archéologique bien établi ce qui complique leur datation. L’Afrique reste un continent encore largement inexploré et la période dans laquelle se situe l'origine d'Homo sapiens est largement sous documentée par manque de données fiables (1).
1 ) Le concept d'une origine localisée à un "jardin d'Eden" au sud-est du Sahara a d'abord été proposé à partir des découvertes localisées en Afrique de l'Est, Omo-Kibish et Herto en Éthiopie, il y a 200.000 ans (cf ci-après) et également mis en avant par certains travaux de généticiens(12)(13)
Cependant le continent Africain a été le théâtre de véritables bouleversements climatiques au cours du Pléistocène moyen et supérieur, avec des variations locales importantes des paysages.
En particulier, il y a eu des périodes durant lesquelles le Sahara s'est couvert de végétation, de rivières et de lacs (14). Et dans ces vastes domaines de l'Est à l'Ouest, on peut imaginer que de nombreux groupes de chasseurs-cueilleurs ont pu s'y disperser et exploiter d'immenses étendues de steppe et de savane.
2) Les derniers travaux de J.J. Hublin (2017) sur un site du Maroc ont permis de montrer que l'origine d'H. sapiens remontait en fait bien plus loin, au delà de 200.000 ans et quelle n'était effectivement pas limitée à l'Afrique de l'Est sub-saharienne.
Les Sapiens archaïques
- JEBEL IRHOUD (Maroc): Ce sont actuellement les plus anciens restes attribués à des Homo sapiens (9) et ils ont été récemment bien datés à 315.000 ans (15).
En 1960, avait eu lieu les premières découvertes d'un crâne presque complet (Irhoud 1) puis la mise à jour d'une boîte crânienne (Irhoud 2), d'une mandibule (Irhoud 3) et de plusieurs fragments osseux, associés à d'abondants restes d'animaux du Pléistocène Moyen, mais dont l'interprétation restait compliquée du fait de l'incertitude sur leur âge: entre 40 et 160.000 ans.
A partir de 2004, Jean-Jacques Hublin et Abdelouahed Ben-Ncer ont effectué de nouvelles fouilles qui ont conduit à la découverte de nouveaux fossiles humains, dont un crâne humain fragmentaire (Irhoud 10), une mandibule (Irhoud 11), et différents restes osseux qui viennent de la couche inférieure du dépôt archéologique.
Cette couche contenait les restes d'au moins cinq individus différents. Elle a été datée par thermoluminescence à partir d'outils brulés de silex, à environ 315.000 ans. (15)
Ils présentent une plus grande robustesse par rapport aux populations actuelles, mais aussi des affinités avec les formes plus tardives de sapiens d'Afrique de l'est et du Levant (16).
Comparées aux faces des Néandertaliens ou d'autres espèces archaïques du Pléistocène Moyen, les faces des hommes modernes présentent de nombreuses différences comme le montre l'Analyse en Composantes Principales ci-dessous dans laquelle les Homo sapiens sont en bleu et noir, les Néandertaliens en rouge et les formes archaïques en orange:
La figure ci-dessus montre que les fossiles de Jebel Irhoud (étoiles roses) se situent tous dans les variations d'Homo sapiens.
A l'inverse, la forme de la boîte crânienne des fossiles de Jebel Irhoud présente des caractères archaïques comme le montre l'Analyse en Composantes Principales ci-dessous:
Ils se situent entre les Néandertaliens et les Homo erectus. De manière intéressante, Omo Kibish 2 se situe entre Irhoud 1 et Irhoud 2. La flèche noire ci-dessus indique l'évolution de la boîte crânienne entre les formes anciennes d'Homo sapiens et les formes modernes.
Cette mosaïque de caractères montre que les hommes d'Irhoud étaient une forme primitive d'H. sapiens qui a précédé la forme totalement moderne (1).
Les fossiles de Jebel Irhoud représentent ainsi les premières preuves bien datées de l'existence d'une phase ancienne de l'évolution d'Homo sapiens en Afrique.
Les outillages de Jebel Irhoud correspondent à une des formes les plus anciennes de "Middle Stone Age" (15), qui succède aux industries acheuléennes en Afrique. Le même type d'outillage apparait au même moment dans l'est et le sud de l'Afrique.
On peut ainsi supposer qu'il existe une relation entre l'émergence de ces nouvelles industries et la dispersion des premiers sapiens archaïques au cours de l'un des plus longs épisodes de Sahara vert juste avant 300.000 ans (1).
L'évolution d'Homo sapiens semble impliquer l'ensemble du continent Africain. La face a d'abord évolué, suivie plus tard par la boîte crânienne, comme pour les Néandertaliens en Europe.
Un certain nombre de spécimens un peu plus archaïques, malheureusement aux datations plus incertaines, présentent des caractères anatomiques proches de ceux de Jebel Irhoud et sont considérés également comme des pré-sapiens:
- Le crâne partiel de FLORISBAD découvert en 1932 en Afrique du Sud, daté depuis 1996 à 259.000 ans (17).
- Les fragments de crâne et de fémur de GUOMDE (ER3884 & ER999) découverts en 1971 et 76 au Kenya, datés depuis 1997 à 270/300.000 ans (18)
- Le crâne d'ELIYE SPRINGS (ES11693) découvert au Kenya près du lac Turkana en 1983, daté de façon assez incertaine à 200/300.000 ans (19)
- Les crânes d'HERTO (BOU-VP16/1) découverts en 1997 en Éthiopie (20), daté depuis 2022 à 233.000 ans(21). (Au départ, dénommé Homo sapiens idaltu)
- Le crâne partiel de NGALOBA (LH18) découvert en 1930 à Laetoli en Tanzanie(22), est daté très approximativement de la fin du Pléistocène moyen (?200.000 ans)
- Les crânes d'OMO-KIBISH (Omo1 & Omo2) découvert en 1967 en Ethiopie(23) ont été datés à 200.000 ans(24) en 2008 et 233.000 ans en 2022(21).
Les données archéologiques suggèrent donc qu'avant 200.000 ans, vers 300.000 ans, les premières formes d'H. sapiens étaient déjà réparties sur tout le continent africain:
Rappelons que les humains de Jebel Irhoud sont contemporains sur le continent Africain, d'autres humains comme Kabwe en Zambie, ou Ndutu en Tanzanie, qui paraissent plus primitifs (17).
De plus, selon Stringer et Wood, il est possible qu'il y ait eu une variabilité phénotypique au sein de ces premiers sapiens entre toutes ces différentes régions assez distantes, et qu'il a eu une transition multi-régionale vers les formes modernes. (25)(26)
Les apports de l'archéogénétique:
Il n'y a pas de possibilité d'étude d'ADN anciens prélevés sur des fossiles de ces époques, de paléogénétique, pour ces périodes très reculées.
Seules des études génétiques (d'archéogénétique) portant sur des populations actuelles ou moins anciennes sont envisageables et permettent en particulier d'estimer des dates d'ancêtres communs, de divergences entre lignées.
En 2010 une première étude des génomes des populations Khoisan et Bantou d'Afrique du Sud avait permis d'estimer une date pour le plus récent ancêtre commun pour l'ADN mitochondrial (TMRCA) entre 140 et 240.000 ans. (27)
En 2013, l'étude du génome d'un afro-américain a permis de mettre en évidence une branche ancienne dans l'arbre phylogénétique du chromosome Y (clade A00) à partir de laquelle auraient divergé toutes les autres populations, et ce il y a environ 338.000 ans (237-581 ka)(11B). On retrouve encore cet haplogroupe chez des individus actuels de l'ethnie Mbo de l'ouest du Cameroun.
Le calcul de la date de divergence et donc du plus ancien ancêtre commun sapiens (TMRCA) est très dépendant de l'estimation du taux de mutation du chromosome Y .
En 2017, l'étude des génomes de chasseurs-cueilleurs préhistoriques d'Afrique du Sud indique une date de divergence de plus de 265.000 entre ceux-ci (San et Khoisan) et les autres populations Africaines (11).
Après Jebel Irhoud et les spécimens archaïques, il y a un vide d'environ 100.000 ans en ce qui concerne les spécimens modernes.
En Afrique du Sud, les premiers Hommes Anatomiquement Modernes (HAM) apparaissent vers -120.000 ans dans les sites de Blind River, Border Cave, Pinnach Point et Klassies River Mouth.
Sources & notes
(1) Hublin J.J (2020) "Origine et expansion d'Homo sapiens" Bull Acad. Nat. de Médecine; vol 204 3, pp268-276
(2) Lluis Quintana-Murci (2021) "Le peuple des humains" Odile Jacob p75
(3) Carleton Coon, (1962) "The Origin of Races", New York: Alfred A. Knopf
(4) Wolpoff, M.H. & al. (1984) "Modern Homo sapiens Origins: A General Theory of Hominin Evolution Involving the Fossil Evidence from East Asia" in F.H. Smith and F. Spencer (dir)," The origins of modern Humans: A World Survey of the Fossils Evidence " New York, Alan Liss, 1984 p.41-483
(5) Stringer, C. & al. (1988) "Genetic and Fossil Evidence for the Origin of Modern Humans" Science, 239, 4845 (1988) p1263-1268
(6) Bräuer, G. (1989) "The Evolution of Modern Humans: a comparison of the African and non-African evidence" in P. Mellars et C.B. Stringer (dir), The Human Revolution. Behaviour and Biological Perspectives in the Origins of Modern Humans, Edinbourg, Edimbourg University Press, 1989, p 133-154.
(7) Wolpoff, M. H., & al (1994) " Origins of Anatomically Modern Humans" (eds. Nitecki, M. H. & Nitecki, D. V.) 175–199 (Plenum Press, New York, 1994)
(8) Bräuer, G. (2008) "The origin of modern anatomy: by speciation or intraspecific evolution?" Evol. Anthr. 17, 22–37 (2008)
(9) Hublin, J., & al. (2017). ‘New fossils from Jebel Irhoud, Morocco and the pan-African origin of Homo sapiens’. Nature,546(7657), 289-292. doi:10.1038/nature 22336
(10) Prugnolle F. & al (2005) "Geography predicts neutral genetic diversity of human populations" Curr Biol. 2005 Mar 8;15(5):R159-60
(11) Schlebusch Carina M. & al (2017) "Ancient genomes from southern Africa pushes modern human divergence beyond 260,000 years ago" bioRxiv 145409; doi: https://doi.org/10.1101/145409
(11b) Mendez F.L. (2013) "An African American Paternal Lineage Adds an Extremely Ancient Root to the Human Y Chromosome Phylogenetic Tree" Am J Hum Genet. 2013 Mar 7;92(3):454-9.
(12) Chan EKF, et al. (2019) "Human origins in a southern African palaeo-wetland and first migrations". Nature 2019; 575 (7781):185—9.
(13) Henn BM, et al. (2011) "Hunter-gatherer genomic diversity suggests a southern African origin for modern humans". Proc Natl Acad Sci USA 2011;108(13):5154—62.
(14) Larrasoana˜ JC, et al. (2013) "Dynamics of green Sahara periods and their role in hominin evolution". PLoS ONE 2013; 8(10):1—12
(15) Richter, D., & al (2017). ‘The age of the hominin fossils from Jebel Irhoud, Morocco, and the origins of the Middle Stone Age’. Nature,546(7657), 293-296. doi:10.1038/nature 22335
(16) Klein, R. (2008). ‘Out of Africa and the evolution of human behavior’. Evolutionary Anthropology: Issues, News, and Reviews, 17(6), pp.267-281.
(17) Grün, R. et al. (1996) "Direct dating of Florisbad hominid." Nature 382, 500–501
(18) Bräuer, G., & al (1997) "Modern human origins backdated" Nature 386, 337–338 (1997).
(19) Bräuer, G. & Leakey, R. (1986) "The ES-11693 cranium from Eliye Springs, West Turkana, Kenya". J. Hum. Evol. 15, 289–312 (1986).
(20) White TD, & al.(2003) " Pleistocene Homo sapiens from Middle Awash, Ethiopia." Nature 426, 742–747.
(21) Vidal C. & al (2022) " Age of the oldest known Homo sapiens from eastern Africa" Nature, vol601, 2022.
(22) Day, M., & al. (1980) "A new hominid fossil skull (L.H. 18) from the Ngaloba Beds, Laetoli, northern Tanzania". Nature 284, 55–56
(23) Day, M. H. (1969) "Early Homo sapiens remains from the Omo River region of south-west Ethiopia: Omo human skeletal remains". Nature 222, 1135–1138
(24) McDougall, I. & al. (2008) J. G." Sapropels and the age of hominins Omo I and II, Kibish, Ethiopia". J. Hum. Evol. 55, 409–420
(25) Stringer, C. (2016). ‘The origin and evolution of Homo sapiens’. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 371(1698), p.20150237
(26) Wood, B. & K. Boyle, E. (2016). ‘Hominin taxic diversity: Fact or fantasy?’ American Journal of Physical Anthropology, 159, pp.37-78.
(27) Schuster, S.C., et al. (2010). "Complete Khoisan and Bantu genomes from southern Africa." Nature 463, 943–947.
(28)
(17) Dusseldorp, G., & al. (2013). ‘Pleistocene Homo and the updated Stone Age sequence of South Africa’. South African Journal of Science, 109(5/6), pp.1-7.
(18) Rightmire GP, Deacon HJ. (2001) "New human teeth from Middle Stone Age deposits at Klasies River, South Africa." J Hum Evol. 2001; 41:535–544.
(19) Grine FE, Klein RG.(1993) " Late Pleistocene human remains from the Sea Harvest site, Saldanha Bay, South Africa" . S Afr J Sci. 1993;98:145–152.
Lombard M, & al. (2012) "South African and Lesotho Stone Age sequence updated." S Afr Archaeol Bull. 2012; 67:123–144.