reconstitution des mouvements des populations humaines depuis la préhistoire en Europe occidentale
Le contexte climatique du Pléistocène moyen (-780.000 à -126.000 ans) (1)
A partir de la transition du Pléistocène moyen (-780.000 ans), l'augmentation de la durée et de la sévérité des phases climatiques froides a eu des effets très marqués sur les paysages, la faune et la flore en Europe du nord ouest.
La période glaciaire MIS/OIS 16 (659/621 ka) a été la première glaciation majeure en Europe, avec une extension de la calotte de glace jusqu'au sud du 50° de latitude. Elle a été suivie par un long interglaciaire (MIS 15) de 50.000 ans entre 621 et 568.000 ans, qui a pu être une période favorable pour une recolonisation des latitudes moyennes en Europe.
Les épisodes froids suivants MIS 14 (568/528 ka) et MIS 12 (478/427 ka) ont été des glaciations qui ont entrainé d'importantes modifications de l'environnement, la disparition prolongée des arbres et des très grands mammifères.
Après 500.000 ans, une steppe à Mammouth a couvert la plaine nord-européenne, avec le Bœuf musqué, le Glouton et des carnivores de moindre taille. Il semble que la diffusion à toute l'Europe des porteurs de bifaces en a été facilitée.
Aux périodes froides le littoral méditerranéen sert de refuge, des hommes y ont établi leurs campements, ont taillé des galets plus élaborés et ont maitrisé le feu. On parle de la culture de l’Acheuléen ancien.
A partir de -450.000 ans (SIO 12), la Manche isole les îles britanniques.
La géographie de l'Europe a été ainsi profondément modifiée: l'extension de la calotte glaciaire et du permafrost au nord de l'Europe en entrainé l'émersion du plateau continental à l'ouest, alors qu'à l'est et au centre, le climat devenait encore plus continental et les effectifs humains y diminuait drastiquement.
La mer Caspienne s'est trouvée doublée en surface par l'apport massif des eaux des fleuves glaciaires venant du nord, barrant ainsi la route vers l'Asie centrale. Les grands glaciers du Caucase bloquaient les voies vers le moyen-orient.
Ainsi la succession des périodes glaciaires a entravé les mouvements des populations d'humains archaïques et fortement diminué leur zones habitables. Ces épisodes d'isolation et d'effondrement des populations ont fait l'effet de "goulot d'étranglement génétique" qui peuvent expliquer la divergence des européens de l'ouest finalement, de même que la faible variabilité de l'ADN mitochondrial et de la morphologie chez les derniers Néandertaliens. (2)
Sur la piste des Homo heidelbergensis
Les restes fossiles, mais aussi les sites de bifaces évolués et le feu peuvent nous indiquer la présence des Homo heidelbergensis en Europe:
Premières industries acheuléennes en Europe:
Alors que les premiers outils taillés en bifaces sont d'abord décrits en Afrique de l'Est à partir de 1.75 Ma., au Levant à Ubeidiya en Israel (4) et en Inde à partir de 1.4 Ma. puis en Chine entre 1 Ma. et 800 mille ans et en Indonésie vers 800 mille ans, les preuves de l'apparition ou l'introduction de cette technique de l'Acheuléen en Europe semblent nettement plus tardives.
La deuxième technique de taille d'outils de pierre (mode 2) est nommée Acheuléen du nom des premières découvertes de ces outils "bifaces" en amande par Boucher de Perthes en 1859 à St Acheul en banlieue d'Amiens.
A ce jour, les plus anciens outils Acheuléens proviennent de Konso au sud de l’Éthiopie et sont datés de 1.75 à 1.6 et 1.25 Ma. (de gauche à droite) (3)
On les attribue aux Homo erectus/ergaster africains.
De fait, la présence des bifaces acheuléens évolués signale l'arrivée des Homo heidelbergensis en Europe, provenant des H. rhodesiensis d'Afrique, en même temps que la présence de foyers et traces du feu.
Une première dispersion des techniques de l'acheuléen en Europe semble avoir eu lieu entre les deux épisodes glaciaires MIS18 et MIS12 (700 - 480.000 ans), peut-être à la suite d'une première introduction ponctuelle et fugace vers 900.000 ans (La Boella);
Les plus anciens sites acheuléens européens sont actuellement ceux de :
1) Notarchirico au sud de l'Italie (640.000 ans = SIO16) (5) le site associe outils acheuléens et un fémur humain.
2) La Noira en France dans le Cher (665.000 ans = SIO16) (6)
3) Moulin-Quignon à Abbeville dans la Somme (650.000 ans = SIO16) (7)
4) La Caune de l'Arago à Tautavel dans les Pyrénées orientales, (550.000 ans = SIO14) (8)
Bifaces en schiste à Caune de l'Arago niveau P–Q daté de 550 ka (Barsky 2010).(8')
Ces outils sont associés à de nombreux restes humains (voir plus loin)
5) le site de Barranc de la Boella près de Tarragone en Catalogne espagnole, a révélé des outils acheuléens encore plus anciens, dans des couches datées entre 780 et 900.000 ans.(9)
4) En Allemagne:
Au sud ouest près d'Heidelberg, le site de Mauer (610.000 ans = SIO15) (10) associe outils acheuléens et une mandibule entière qui constitue l'holotype d'Homo heidelbergensis
5) En Angleterre:
Sur la cote du Sussex, le site de Boxgrove (env. 500.000 ans = SIO13) (11) a livré des centaines de bifaces acheuléens dans ce qui semble avoir été un atelier de fabrication, avec également en 1990 un tibia robuste et deux dents d'un individu de grande taille (1m80 et 90kg) qui peut être attribué à homo heidelbergensis.
On retrouve des outils acheuléens plus tard dans de nombreux sites ouest-européens après 400.000 ans à l'interglaciaire SIO11:
Les tailleurs de bifaces du Pléistocène moyen en Europe
Dès le début du Pléistocène moyen, il semble donc que de nouveaux groupes humains façonnant des bifaces ont progressivement été présents dans toute l'Europe de l'ouest.
Ces Homo heidelbergensis sont actuellement rapprochés anatomiquement des Homo rhodesiensis africains de la même période; ils auraient pénétrés en Europe par petits groupes isolés aux périodes favorables. Cette immigration sporadique peut en partie expliquer, par l'effet fondateur, les particularismes qui conduiront aux néandertaliens archaïques.
Actuellement seulement quatre ou cinq sites européens ont livrés des restes humains permettant de définir Homo heidelbergensis, une lignée qui se met en place progressivement par accrétion des caractères qui conduiront aux Néandertaliens proprement dit.
1) L'holotype de l'espèce heidelbergensis est constitué uniquement par la "mandibule de Mauer" découverte en 1907 près d'Heidelberg en Allemagne et datée actuellement de 610.000 ans.(10)
2) Caune de l'Arago dans le massif des Corbières près de Perpignan: 150 ossements d'humains y ont été mis au jour depuis 1964 dans différents niveaux:
Crâne reconstitué (Arago 21/47/13) Crâne de l'homme de Tautavel (Arago 21/47)
3) Petralona près de Thessalonique en Grèce: Depuis 1959 un crâne, puis 4 dents et 2 squelettes y ont été découverts, dont la datation très discutée est actuellement établie à 750.000 ans (18).
Crâne de l'homme de Petralona
4) Ceprano près de Rome: Une unique calotte crânienne très fragmentée y a été découverte en 1994, initialement datée de 800.000 ans, actuellement ramenée entre 430 et 385.000 ans.
Calotte crânienne de Ceprano
5) Sima de los Huesos à Atapuerca près de Burgos en Espagne: plusieurs milliers de restes osseux de 28 individus dont 17 crânes datés de 430.000 ans y ont été découverts depuis 1976.
Ils ont été initialement classés comme appartenant à l'espèce Heidelbergensis bien qu'ils soient assez différents de l'holotype et qu'ils présentent de nombreux caractères anatomiques proches des Néandertaliens, ce qui a été confirmé par l'analyse de leur ADN nucléaire en 2016 (19).
6) Swanscombe dans le Kent: l'arrière d'un crâne a pu être reconstitué, qui présente à la base de l'occipital un double bourrelet/torus et une fosse sus-iniaque caractéristique des Néandertaliens.(16)
Les caractéristiques du crâne de Homo heidelbergensis/rhodesiensis ( Stringer(20))
Sources & Notes:
(1) Moncel Marie-Hélène (2020), “Le début de l’Acheuléen en Europe entre 700 et 650 ka ?”, Les nouvelles de l'archéologie, 161 . 2020, 12-18.
(2) Hublin J.J., (2009) "The origin of Neandertals" PNAS sept 22, 2009, vol 106, n°38, 16022-16027
(3) Beyene Y., (2013) "The characteristics and chronology of the earliest Acheulean at Konso, Ethiopia". PNAS January 29, 2013 110 (5) 1584-1591
(4) Repenning, C., Fejfar, O. (1982) "Evidence for earlier date of ′Ubeidiya, Israel, hominid site." Nature 299, 344–347.
(5) Villa, P., (2001)." Early Italy and the colonization of western Europe". Quaternary International 75, 113-130
(6) Despriée J., et al. (2016) "Acheulean site of la Noira (Centre region, France): Characterization of materials and alterations, choice of lacustrine millstone and evidence of anthropogenic behaviour". Quaternary International, 41,
159-184
(7) Pierre Antoine. et al. (2017) "Rapport de fouille. Opération Abbeville - Moulin Quignon Avril 2017". Autorisation de fouille programmée DRAC Picardie : n°2017-01
(8) De Lumley, H., (1998). L'Homme Premier. Editions Odile Jacob. 256 p.
(8') Barsky, D., de Lumley, H., 2010. "Early European Mode 2 and the stone industry from the Caune de l’Arago’s archeostratigraphical levels “P”."Quatern. Int. 223–224, 71–86.
(9) Mosquera M. & al (2015) "The early Acheulean technology of Barranc de la Boella (Catalonia, Spain)" Quaternary International 2015.
(9) Ollé A. & al. (2023) "The earliest European Acheulean: new insights into the large shaped tools from the late Early Pleistocene site of Barranc de la Boella (Tarragona, Spain)" Frontiers in Earth Science. 11. 10.3389/feart.2023.1188663
(10) Dennell, R., Roebroeks, W., (1996). "The earliest colonization of Europe: the short chronology revisited". Antiquity 70, 535-542.
(11) de Lumley, H., and M. A. de Lumley. "Découverte de restes humains anténéanderthaliens datés du début du Riss à la Caune de l’Arago (Tautavel, Pyrénées Orientales)."Comptes Rendues des seances de l'Acacdemie de Science de Paris 272 (1971): 1729-1742.
(12) Yokoyama, Yuji, & Nguyen, Huu-Van . (Mar 1981)." Direct dating of Tantavel man by non-destructive gamma-ray spectrometry of fossil human skull Arago XXI". Comptes Rendus des Séances de l’Académie des Sciences Série 2, 292(12), 927-930.
(12) Falguères, Christophe, et al .(2004) "New U series dates at the Caune de l'Arago, France." Journal of Archaeological Science 31.7 (2004): 941-952.
(11) Stout D. et al (2014) "Late Acheulean technology and cognition at Boxgrove, UK" Journal of Archaeological Science Volume 41, January 2014, Pages 576-590
(12) Manzi, G. et al. (2010) "The new chronology of the Ceprano calvarium (Italy)". Journal of Human Evolution 59, 580–585
(13) Bischoff, J.L., et al., (2007). High-resolution U-series dates from the Sima de los Huesos hominids yields 600 kyrs: implications for the evolution of the early Neanderthal lineage. J. of Archaeological Science 34, 763-770.
(14) Antoine, P., Limondin-Lozouet, N., (2004). Identification of MIS 11 Interglacial tufa deposit in the Somme valley (France): new results from the Saint-Acheul fluvial sequence. Quaternaire 15, 41-52.
(15) Mania, D., (1991). The Zonal Division of the lower Paleolithic open-Air site Bilzingsleben. Anthropologie 29, 17-24.
(16) De Groote I., Stringer C., (2017) "Prehistory of the British Isles: a tale of coming and going" Bulletins et Mémoires de la société d'anthropologie de Paris. sept 2017.
Day, M.H., (1986). Guide to Fossil Man. University of Chicago Press, Chicago. 448 p.
(17) Mazza, P.P.A., et al., (2006). A new Palaeolithic discovery: tar-hafted stone tools in a European Mid-Pleistocene bone-bearing bed. Journal of Archeological Science 33, 1310-1318.
(18) Aris Poulianos (1984) "Once more on the age and stratigraphy of the petralonian man" Anthropological Association of Greece,
(19) Matthias Meyer & al., « Nuclear DNA sequences from the Middle Pleistocene Sima de los Huesos hominins », Nature, 7595e série, vol. 531, 24 mars 2016, p. 504-507
(20) Stringer, Christopher. (2012)."The status of Homo heidelbergensis (Schoetensack 1908)". Evolutionary anthropology. 21. 101-7
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